La présence de l'Autre | Bota Bota, spa-sur-l'eau

Psychologie

La présence de l’Autre : entre confinement social et quête de connexion

« L’enfer, c’est les autres », philosophait l’existentialiste Jean-Paul Sartre. Cette phrase, bien qu’écrite dans un contexte très particulier en 1944, retrouve un écho prononcé dans notre société actuelle. À la lueur des réseaux sociaux et d’un monde en projection d’égos constant, qu’en est-il de notre compréhension de l’« Autre », celui qui nous perçoit et qui nous informe de notre existence sur terre ?

La perspective philosophique de l’Autre, selon Sartre

Une perspective de lecture sur un courant philosophique peut sembler quelque peu effrayante, surtout lorsque les cours de philosophie sont bien loin derrière nous, ensevelis sous des toiles d’araignées qui coexistent gaiement avec le théorème de Pythagore. Mais la philosophie peut nous donner des clés de compréhension et nous informer sur des concepts qui nous permettent de voir le monde tel qu’il est, et a été.

L’existentialisme, selon Sartre, affirme que l’existence précède l’essence, ce qui signifie que les humains n’ont pas de nature prédéfinie et doivent créer leur propre sens à travers leurs choix. Ainsi, nous sommes libres, mais cette liberté s’accompagne d’une responsabilité totale envers nous-mêmes et les autres, ce qui peut provoquer, avec raison, un sentiment d’angoisse. Sartre critique la “mauvaise foi”, qui consiste à fuir cette liberté par des excuses ou par conformisme, et valorise l’authenticité, qui demande d’assumer pleinement ses choix et de vivre selon ses propres valeurs.

Pour Sartre, l’Autre est essentiel dans la construction de notre identité, car il nous permet de nous voir à travers son regard. Ce regard de l’Autre agit comme un miroir qui nous renvoie une image de nous-mêmes, souvent en nous objectifiant et nous limitant. Par ailleurs, l’Autre devient une source de jugement, car nous avons toujours conscience de son regard et de la manière dont il peut nous juger. Cela crée un conflit entre notre désir de liberté et l’angoisse de la perception des autres.

Cette angoisse peut se manifester par la peur de ne pas être à la hauteur des attentes sociales ou des normes imposées. Nous nous retrouvons ainsi pris dans un dilemme où nous naviguons entre nos propres aspirations et la manière dont nous nous pensons perçus par les autres. Une dichotomie qui demande beaucoup de clarté.

Les réseaux sociaux, un espace de confrontation

Depuis leur avènement, les réseaux sociaux ont catapulté le regard de l’Autre dans des sphères encore jamais perçues. L’Autre nous observe, mais nous l’observons aussi, alors qu’il étale sa vie pour le regard des curieux, donnant l’illusion d’une perfection inatteignable.

La mise en scène du soi devient seconde nature dans une société qui voue au paraître une infinie dévotion. En cherchant quelques minutes sur les plateformes de diffusion disponibles, il n’est pas difficile de trouver des émissions de télé (-réalité), offrant une image léchée, clichée et formatée d’expériences et d’émotions humaines.

Les réseaux sociaux remplacent aujourd’hui l’arène ou la place publique d’autrefois. En son sein se déroulent des dynamiques de validation et de jugement qui couperaient tout autant que le plus aiguisé des glaives. Les réseaux offrent aux plus communs des mortels une place sur laquelle s’exprimer et s’affronter.

Lorsque les opinions s’expriment de façon décomplexée et souvent brutale, le danger réside dans la tendance à suivre le mouvement dominant sans questionner sa pertinence. Cet effet d’entraînement, amplifié par l’hyperconnectivité des réseaux sociaux, favorise un conformisme rigide, où la nuance disparaît au profit de jugements rapides et catégoriques. L’impact psychologique de cette dynamique est particulièrement préoccupant, car elle pousse à privilégier l’apparence et l’approbation sociale, au détriment de l’individualité et de la réflexion critique.

Au Bota Bota, le respect de l’Autre est au cœur de nos valeurs, et celle-ci débute entre autres par l’interdiction des cellulaires à bord; une décision qui tranche les avis. Certains apprécient cette règle d’or, alors que d’autres la questionnent. Cette initiative a d’abord pour but d’offrir à tous un environnement hors du temps où la connexion est au présent. L’Autre est un élément important lors de notre séjour à bord, son respect des règles, comme le nôtre, permet la plus belle des évasions.

Les Jeudis Reconnexion offre une flexibilité quant à l’usage des cellulaires sur place une fois dans la semaine, mais ces journées sont surtout une occasion de reconnexion avec ceux qui nous entourent. Alors que les discussions à voix basse dans le bateau sont permises, elles permettent un dialogue tout en détente avec ceux qui nous entourent.

Une reconfiguration des rapports, suite à la pandémie

Il est formidablement déroutant de se dire qu’il y a 5 ans déjà, le monde s’apprêtait à sombrer dans un mode de fonctionnement totalement inconnu. La pandémie et sa solitude accrue se sont rapidement immiscées dans nos logements et dans nos habitudes, créant un fléau social abyssal.

Le voisin que l’on croisait tous les jours ne devint plus qu’une ombre que l’on salua de loin, le caissier de l’épicerie d’à côté ne communiqua plus qu’avec les yeux, sa bouche cachée par un masque et son corps protégé par une épaisse fenêtre de Plexiglas et les amis célébrèrent les anniversaires, un triste verre de vin à la main par écrans interposés. L’Autre n’était qu’un reflet de souvenirs flous, et s’imposait comme une menace lorsque la fameuse distanciation sociale n’était pas de mise.

La pandémie aura vu éclore de nouvelles solutions de communication à distance, afin d’entretenir les liens professionnels et sociaux de chacun. Que celui qui n’a jamais participé à un jeu de scrabble en ligne jette la première pierre ! De nombreux partages de messages de solidarité sur les réseaux sociaux se sont aussi propagés, illustrés de l’emblématique arc-en-ciel, symbole de compassion et de meilleurs jours à venir.

Ces jours meilleurs ont finalement vu le jour quelques années plus tard, au fil de la disparition des zones rouges et des retours en personne au bureau. C’est avec engouement, quoiqu’encore secoué par les dernières années d’isolation sociale, que nous nous sommes ouverts à la possibilité de reconnecter à l’Autre. Une dualité particulièrement complexe à naviguer après un isolement et une méfiance accrue.

Naviguer le retour au toucher, aux rames de métro bondées, aux salles de concerts surbookés alors que l’Autre était peu de temps auparavant qu’un monde de microbes, porteur d’un deuil inimaginable, n’aura pas été chose simple. Avec le temps, et de nouvelles limites mises en place, il semblerait qu’une certaine forme de normalité de co-existance sociale soit aujourd’hui de mise. Mais la distance physique des dernières années aura clairement entaché la façon dont nous communiquons avec les autres.

L’« Autre » comme moteur d’existence et d’évolution

Exister, c’est être confronté au regard de l’Autre constamment. Le philosophe George Berkeley illustre cette réflexion par une image inspirée de la nature, « Un arbre fait-il du bruit quand il tombe si personne n’est là pour l’entendre ? » Certains, en accord avec Berkeley, insistent sur la nécessité de la présence de l’Autre, une théorie selon laquelle les choses ne peuvent exister sans être perçues.

L’Autre, comme miroir, nous renvoie une image de nous-mêmes aux multiples facettes. Ses expériences, attentes et besoins se voient mêlés à sa perception de notre personne et nous permettent une remise en question constante. L’Autre peut être un outil positif d’évolution, lorsqu’il n’agit pas dans un contexte de pression sociale.

Dans la première saison de Point d’Écoute, le podcast du Bota Bota, les auditeurs peuvent entendre le récit passionnant de Mylène Paquette, la première personne des Amériques à avoir traversé l’Atlantique Nord à la rame, en solitaire. Une épopée sans équivoque qu’elle raconte avec passion, notamment à travers des conférences, disponibles pour tous types d’auditeurs. Ses apprentissages sont applicables à virtuellement n’importe quel domaine, puisqu’ils découlent de sentiments qui font partie de l’expérience humaine. La peur, la joie, le dépassement de soi… ces émotions sont connues unilatéralement à travers le globe.

La diversité de l’expérience humaine offre une multitude de visages et d’histoires à laquelle nous pouvons nous comparer et nous confronter. Ultimement, cette richesse vivante qui nous entoure est une source infinie de croissance personnelle.

L’Autre est-il véritablement un enfer ? L’Autre n’est finalement que celui sur qui nous projetons nos peurs, nos envies et nos rêves. Il agit comme un miroir, parfois déformant ou honnête, avec son lot de reflets complexes.

« Le monde auquel je suis est toujours un monde que je partage avec d’autres », exprime Martin Heidegger lorsqu’il parle des fondements relationnels entre humains. Pour lui, l’humain n’est pas un sujet isolé qui existerait indépendamment du monde. Au contraire, il est toujours déjà en relation avec un environnement et l’Autre.

Être humain, c’est être dans un monde chargé de significations, où les objets, les lieux et les autres personnes sont présents, malgré toute leur complexité.